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Fiche de lecture

Tode, les origines du karaté-do – De la Chine à Okinawa de Pierre Portocarrero, éditions Sedirep, 1986

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Il s'agit d'un ouvrage assez ancien, puisque publié en 1986, mais qui déjà relevait les origines chinoises du karaté-do, origines que le nationalisme impérial aura tenté d'effacer. A l'heure où d'aucuns redécouvrent cette histoire, Pierre Portocarrero avait donc effectué un excellent travail sur l'histoire de cette pratique, ses diverses branches et leurs particularités.

En une centaine de pages, c'est un historique complet qui est révélé avec un focus sur les styles majeurs (Shorin-ryu, Shotokan et ses deux appendices que sont le Wado-Ryu et le Shotokaï, Goju-ryu, Shito-ryu et Uuechi-Ryu) et des portraits de grands maîtres. Un point est également consacré à l'origine des katas.

Pour les pratiquants d'arts martiaux chinois, le propos est fort instructif car le processus de transmission, avec les évolutions positives ou négatives, les rivalités, les oublis, les modifications (conscientes ou pas...), etc. est identique avec nos pratiques.

Le passage que j'ai le plus apprécié est celui abordant la transmission au sein de chaque école, avec les notions de uchi-deshi (disciple interne) et de soto-deshi (disciple externe). Si ce dernier est officiellement le successeur auquel revient le nom de l'école, son développement et son enseignement, l'héritage des connaissances ésotériques revient au disciple interne. Celui-ci est généralement en retrait de la généalogie officielle. A lui revient la tâche de transmettre à une poignée d'élèves les savoirs secrets, tels certains passages de katas concernant l'aspect énergétique des applications thérapeutiques et martiales (bunkaï). De là, nous comprenons mieux que des transformations (et souvent un appauvrissement ou tout du moins une simplification) affectent le style.

Enfin, les éclaircissements sur les termes chinois, okinawaïens et japonais sont précieux pour comprendre les malentendus et les interprétations diverses qui impactent l'enseignement.

 

J'ai eu l'occasion de rencontrer Pierre Portocarreo lors d'un stage de taiji quan à Bolbec (Seine-Maritime) vers 1991 ou 1992, avec mon professeur dans ce style de wushu à l'époque, Christian Foulon. Un bon moment riche en indications précieuses pour évoluer dans sa pratique. Ce livre est le reflet de cette pédagogie qui repose sur un engagement total et une volonté d'éclairer les élèves.

 

Frédérik

 

Livre : Les mystères du printemps radieux – Philosophie et leçons cachées du wing chun kung-fu par Lionel Roulier - autoédition

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Les ouvrages en langue française consacrés au style wing chun sont rares. C'est pourquoi la découverte de ce livre est très enthousiasmante. Cet ouvrage aborde dans un premier temps l'histoire des arts martiaux chinois en général et du wing chun en particulier. Je dis histoire mais, comme souvent en Chine, la légende se confond avec les faits historiques. Il convient donc de distinguer ce qui relève des faits réels et ce qui est légendaire. En gardant à l'esprit que le légendaire est emprunt de symbolisme, symbolisme riche d'enseignement pour qui sait le décrypter.

Lionel Roulier part donc de généralités, s'attache au passage à décrire l'arrivée des arts martiaux d'extrême-orient en occident, avant de se pencher plus précisément sur le style wing chun.

L'auteur considère que le wing chun est une mise en pratique de la conception taoïste, avec en premier lieu la dialectique entre yin et yang. Il décrit certains aspects de cette pratique à la lumière de celle-ci. Les pratiquants sérieux d'arts martiaux chinois et les personnes curieuses de la pensée chinoise y trouveront confirmation du lien étroit qui réunit pratique martiale et vision philosophique. Il faut d'ailleurs noter que la plupart des styles traditionnels chinois peuvent être analysés avec la même grille de lecture philosophique.

Lionel Roulier entreprend ensuite un décryptage de la légende du wing chun, en s'appuyant notamment sur l'histoire transmise par Ip Man. Puis il se lance dans une très intéressante entreprise de commentaires de différents kuen kuit (littéralement, les formules de la boxe, c'est-à-dire les proverbes liés au style) et de la chanson des jonques rouges. Les jonques rouges, ce sont ces embarcations avec lesquelles des troupes d'opéra classique se déplaçaient afin de donner des représentations dans le pays. Ce mode de déplacement permettait également aux révolutionnaires en lutte contre l'empire des Qing de propager leur message et d'organiser la résistance. Le wing chun s’inscrit dans ce contexte historique. Une scène se déroulant dans le film Le retour de l'hirondelle d'or illustre ce phénomène : l'héroïne chante une chanson aux messages cachés dans une auberge afin d'établir le contact avec de potentiels complices.

La chanson est un texte contenant de multiples messages cachés que l'auteur égraine au fil des pages. Les prescriptions stratégiques et d'entraînement se mélangent aux conseils de comportement et de transmission. C'est sans nul doute à mes yeux la partie la plus intéressante de l'ouvrage.

Voilà donc un livre éclairant, dans lequel nous retrouvons bien des accords avec notre propre conception (que ce soit sur la façon de pratiquer et de transmettre que sur l'importance de connaître le contexte historique dans lequel s'est construit le style. La connaissance des conceptions plus larges, dépassant le seul cadre du wing chun est également un fait important. Nous voyons par exemple que la traduction du mot shifu (sifu en cantonnais) donne bien des indications aux pratiquants occidental (cf. ; notre texte consacré à la notion de maître dans la partie blog de ce site). Enfin, ce livre souligne ce que nous même soulignons dans notre école : le wing chun est à l'instar des formules employées pour en parler : un art qui repose sur le fait de cacher ses intentions.

Quelques points que j'aurais aimé voir (mais la critique est facile, la tâche est beaucoup plus difficile) : le lien avec la pensée bouddhiste, sachant que les généalogies font souvent remonter l'origine du wing chun au temple de Shaolin. Nous savons que pensées taoïstes et bouddhistes en Chine n'ont eu de cesse de s'influencer l'une et l'autre, sur fond de rivalité pour l'hégémonie spirituelle... Avoir le texte original des kuen kuit et de la chanson des jonques rouges aurait été bien venu, les caractères chinois apportant toujours leur lot d'interprétations supplémentaires. Enfin, un petit mot sur la forme : il est dommage que des coquilles parsèment le livre, notamment dès la couverture.

L'ouvrage est cependant très riche et ravira toutes celles et tous ceux qui ont un attrait pour le wing chun ou plus généralement pour la Chine.

 

Frédérik

Livre : Tous des héros -  Comment une bande de hardis tocards a redécouvert les secrets ancestraux de la force et de l’endurance

 

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Christopher MacDougall est un écrivain et journaliste américain. Son livre le plus connu est Born to Run (Né pour courir). Il écrit également des articles pour Esquire, le New York Times Magazine, et le New York Magazine, ainsi que pour son travail de conseiller de rédaction au Men's Health. Ici l’auteur nous entraine en Crête, sur la trace d’officiers du SOE britannique traqués pendant la seconde guerre mondiale. Ces hommes ont tenu tête au régiment du général allemand Karl Heinrich Georg Ferdinand Kreipe qu’ils avaient kidnappé sur l’ile en avril 1944. Sans autre ressource que le régime crétois, l’auteur répondra à une question qui servira de fil rouge. Mais comment ont-ils tenu ?

 

La narration mêlera d’une part un récit de guerre et un périple haletant, en suivant les agents britanniques de leur arrivée sur l’île jusqu’à l’évasion avec le général allemand. D’autre part nous avons une démonstration sur la nutrition, l’effort et la résistance du corps humain en général. L’idée de ce mélange parait dingue mais elle est brillamment racontée.

 

Les thèmes qui sont abordés dans ce livre sont ici nombreux :

-Tout d’abord pour ceux que l’histoire passionne, vous trouverez un récit sourcé et réel du périple des agents du SOE. Également la résistance des crétois qui dès le début de l’invasion allemande sont entrés en résistance. Le rôle de cette résistance a été crucial car elle a mobilisé énormément de moyens allemands qui n’ont pas pu aller sur le front russe. Les coureurs crétois vont également être à l’honneur, puisqu’ils étaient les messagers entre les groupes de résistants. Les mythologies grecques et les exploits de leurs héros sont aussi présents dans cet ouvrage.

-Ensuite la nutrition sera un des enjeux majeurs de la réussite des britanniques et de la résistance crétoise. En effet, le régime crétois qui se compose principalement de légumes frais, olives, noix, de fromage, de viande séchée et d’un mélange abondant d’épices est un élément de réponse. Ce régime exclu les glucides qui sont devenus abondant dans la nourriture contemporaine. L’auteur démontre tous les problème liés à un effort qui favorise la consommation d’un carburant dit rapide (les glucides), plutôt qu’un carburant lent (les lipides). Notre corps par l’effort doit apprendre à puiser dans cette réserve de graisse pour augmenter notre endurance.

 

-Puis on nous raconte que l’homme n’a pas brillé dans le paléolithique par sa force ou sa rapidité. Ce qui l’a rendu fort c’est son extrême endurance. L’auteur est en quête des secrets des héros de l’antiquité. Pour cela, des indices s’accumulent au fil de l’enquête. Certains sont évidents comme le paléo-fitness avec Erwan Lecorre, ou plus improbables les adeptes du Parkour. Les facias sont également à l’œuvre dans tout cela et notamment l’élasticité et le rebond qu’ils nous procurent. Les coureurs crétois connaissaient cela car dans un terrain accidenté si tu n’as pas de rebond, tu vas moins vite et tu uses beaucoup plus d’énergie, donc au final tu t’épuises.

 

- Enfin nous avons dans ce livre une critique des travers du sport moderne, notamment l’explosion des salles de fitness et de son business. Une critique des recommandations des nutritionnistes du sport qui ont conduit certains athlètes à la mort.

 

Ce livre a appuyé mes réflexions à un moment où j’étais en pleine transformation physique et alimentaire. Cela m’a conforté dans beaucoup de mes choix actuels et ces principes sont toujours présents en moi. La narration est fluide et enrichissante, vous serez absorbés et captivés par ce roman qui vaut la peine qu’on le lise.

 

Valentin

 

Livre : L'offensive du dragon Auteur : José Carmona, éditons Guy Trédaniel

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Les habitués du site shenjiying.com retrouveront dans cet ouvrage les analyses précises sur les arts martiaux que José Carmona livrent à ses lecteurs. Ici, ses réflexions prennent pour objet central le phénomène Bruce Lee. Phénomène car la vague engendrée par cer acteur sino-américain dépasse  largement se seule personne. Le mythe ou la légende ont effacé l'homme. José Carmona revient sur les élements biographiques permettant un nouvel éclairage sur Bruce Lee et sur l'influence que celui-ci a exercé sur la perception des arts martiaux. Pour résumer très brièvement, l'auteur tend à montrer combien l'ambition de Bruce Lee, symptomatique d'une vision libérale et d'une volonté de parvenir sans borne (pas de limite pour seule limite étant un des slogans ultra-libéral résumant la conception de l'acteur) est la clé livrant une lecture de son parcours. Parcours dans le monde du spectacle mais aussi dans le développement de son style personnel de combat. D'abord hésitant avec la tradition (celle-ci s'avérant parfois utile pour recruter des élèves) puis pourfendeur de celle-ci, Bruce Lee aura tout tenter pour parvenir. Ses expériences personnelles, aussi bien les très rares combats véritables qu'il eut à livrer que les rôles qu'il incarna au cinéma, témoignent toutes d'une obssession de s'élever au rang du greatest one.

L'ouvrage, loin de se cantonner au seul personnage de Bruce Lee, puise allègrement dans des recherches poussées, aussi bien du côté de la Chine et des ses styles de combat que dans l'histoire du cinéma. Le tout, avec une analyse sociale pertinente.

Les arts martiaux asiatiques se sont diffusés aux quatre coins du monde avec plus ou moins de bonheur. Le cinéma y est pour beaucoup. De ce fait, le grand public porte sur ces disciplines une vision tronquée, faite de fantasmes puérils. Et Bruce Lee y est pour beaucoup.

Les pratiquants de wing chun pourront quant à eux trouver quelques éléments concernant l'histoire de leur style. La place tenue par Ip Man mais aussi et surtout par Wong Shun Leung dans l'apprentissage de Bruce Lee y sont évoquées, ainsi que, très brièvement, l'existence d'autres branches que celle d'Ip Man. Notons également que l'influence du style de la mante religieuse de sud est lui aussi souligné. Ces derniers points nous intéressent particulièrement dans la mesure où notre wing chun est composé de la branche d'Ip Man via Ng Chan (ce dernier ayant beaucoup travaillé avec un expert de la mante religieuse du sud au point de changer se façon de faire en chi sao) et de celle de Wang Wa Bo via des maîtres chinois implantés au Vietnam.

Livre : Philosophie des arts martiaux modernes Auteur : Emin Boztepe (avec Emmanuel Renault) Editions Vrin

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Tout d’abord, la première bonne surprise est que le mot « philosophie » ne renvoie pas à un énième résumé plus ou moins clair des philosophies ou systèmes de pensée provenant d’Extrême-Orient (un peu de bouddhisme, un peu de taoïsme, le tout saupoudré de confucianisme…). Il s’agit plutôt de réfléchir à ce qu’implique la pratique des arts martiaux dans le contexte actuel.  L’un des enjeux est alors de démythifier la chose.

 

Une partie du propos s’attache à l’apprentissage de ces pratiques. Pour l’auteur, la qualité du processus d’apprentissage est conditionnée par la qualité de la compréhension. C’est pourquoi il est crucial de développer des approches critiques de la compréhension qui provient de la tradition et de la manière dont, de génération en génération, elle a été transmise jusqu’à nous sous des formes sans cesse transformées.

Autre idée, qui découle de la première énoncée : il faut se méfier de tout exotisme, c’est-à-dire le fait de s’intéresser à quelque chose (ici, les arts martiaux) non pas parce que cela peut devenir une partie de notre vie mais parce que cela n’a rien à voir avec nos manières de vivre et de penser. Cette façon de concevoir les choses vient renforcer la crédulité béate et les superstitions qui entourent souvent les arts martiaux.

Plus loin, Emin Boztepe indique que la philosophie (au sens de recherche de la sagesse) associée aux arts martiaux permet à certains instructeurs d’embobiner leurs élèves en s’arrogeant un prestige factice. En effet, les concepts et les thèses philosophiques sont souvent intimidants, surtout s'ils sont exprimés métaphoriquement ou à  l’aide d’images. Cela explique que certains peuvent utiliser la philosophie comme moyen de protection psychologique et comme marqueur de prestige social leur permettant de dissimuler leurs propres limites et leur insécurité psychologique.

Pour Emin Boztepe, la philosophie ne doit pas être réduite à un ornement, mais doit consister en un instrument destiné à mieux comprendre le sens, les enjeux et les implications de la pratique, afin d’améliorer cette pratique. A partir de là, il convient de prendre en compte que nous pouvons être confronté à l’échec. Il faut alors oser se lancer des défis et en passer par la confrontation avec nos partenaires pour que l’apprentissage ne reste pas pure théorie.

Emin Boztepe en vient à aborder la différence entre arts martiaux et sports de combat. Selon lui, la différence principale se situe dans  la logique du processus d’apprentissage et dans l’usage qui est fait des techniques analogues. Un combat sportif n’est pas la même chose qu’une situation d’agression. Et de souligner que « si les combattants de MMA combinent si souvent des techniques de boxe (anglaise et thaïlandaise) et de lutte ou de jujitsu, si en quelques années, ils en sont venus à combattre tous à peu près de la même manière, c’est précisément parce que des coups sont interdits et parce que, comme dans un sport, il s’agit de faire le meilleur usage possible des règles. »

Une autre différence réside dans le fait que les arts martiaux, contrairement aux sports, prétendent transformer profondément le rapport à soi et aux autres, tout en produisant des effets profonds sur l’ensemble de l’existence. E. Boztepe indique qu’il ne faut pas pour autant se faire d’illusion sur cette dimension.

Enfin, l’auteur  développe sa conception du corps en action en illustrant son propos d’exemples tirés de sa pratique du wing chun. Cette partie est très intéressante pour les pratiquants qui y trouveront matière à réflexion sur leur propre manière de faire. En ce qui me concerne, j’ai apprécié la réflexion qui rejoint pour une bonne part la mienne. Qui plus est, ce que dit Emin Boztepe de la pratique du wing chun (sur la structure du corps, les déplacements, etc.) se rapproche fortement de ce que nous faisons dans notre école.

Frédérik

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 26/09/2020

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